Valérie Rousseau
Responsable prospective et stratégie expertise sociale
Dans deux récents arrêts, la Cour de cassation a ajusté, au nom du droit européen, certains principes relatifs aux congés payés ; des décisions qui doivent inciter les employeurs à revoir rapidement leurs pratiques en matière de gestion RH et de la paie.
Par un arrêt du 10 septembre 2025, la chambre sociale de la Cour de cassation opère un revirement significatif de jurisprudence concernant le calcul des heures supplémentaires.
Jusqu’alors, en application de l’article L. 3121-28 du Code du travail, seules les heures de travail effectif permettaient de déclencher le paiement d’heures supplémentaires, excluant ainsi les périodes de congés payés.
Désormais, lorsque la durée du travail est décomptée à la semaine, les jours de congés payés doivent être pris en compte dans le calcul des seuils hebdomadaires donnant lieu à rémunération majorée.
Cette évolution résulte de la nécessité d’assurer la conformité du droit français avec le droit de l’Union européenne, et plus précisément avec l’article 7 de la directive 2003/88/CE et l’article 31, §2 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, lesquels garantissent au salarié le droit à un repos effectif sans désavantage financier potentiel.
En l’espèce, trois salariés réclamaient le paiement de 3,5 heures supplémentaires hebdomadaires non payées en raison de la prise en compte de leurs congés dans les calculs. La Cour d’appel de Versailles avait écarté ces semaines du décompte, décision censurée par la Haute juridiction. Cette dernière juge que le salarié doit être rémunéré comme s’il avait travaillé pendant toute la semaine, y compris celle où un jour de congés payés est posé.
💡 Illustrons par un cas pratique
Un salarié travaille 35 h par semaine. Le mardi, il a travaillé 9 h au lieu des 7 h prévues.
Sur une semaine complète, il serait rémunéré 35 h + 2 heures supplémentaires majorées et exonérées fiscalement et socialement.
Prenons le cas d’un jour de congés payés pris sur la semaine, par exemple le vendredi pour 7 h.
Jusqu’à l’arrêt du 10 septembre 2025, n’ayant pas « effectivement » travaillé 37 h mais 30 h, il aurait été rémunéré 35 h + 2 heures au taux normal (non exonérées), n’ayant pas, de fait, effectué d’heures au-delà de 35 h.
Désormais, le salarié peut prétendre au paiement de ses 2 heures supplémentaires, au taux majoré, sur cette semaine.
Mais quels impacts sur les exonérations liées aux heures supplémentaires ? Des incertitudes devront être éclaircies par l’administration.
Par un second arrêt du même jour, la Cour de cassation met également fin à une jurisprudence ancienne relative au chevauchement entre congés payés et arrêt maladie.
Traditionnellement, un salarié malade pendant ses congés ne pouvait en exiger le report, dès lors que l’employeur avait satisfait à son obligation de les lui accorder.
Cette position est abandonnée au profit d’une interprétation conforme à la jurisprudence de la CJUE.
En effet, en droit de l’Union européenne, l’objectif des congés payés est de permettre aux salariés non seulement de se reposer, mais aussi de profiter d’une période de détente et de loisirs ; alors que l’objectif d’un congé maladie est de permettre aux salariés de se rétablir d’un problème de santé.
Ces deux droits n’ont donc pas la même finalité.
Puisque la maladie l’empêche de se reposer, le salarié placé en arrêt pendant ses congés payés a droit à ce qu’ils soient reportés. Il faut toutefois que l’arrêt maladie soit notifié par le salarié à son employeur.
Ce revirement de jurisprudence est ainsi justifié par la distinction fondamentale entre congés payés, destinés à permettre le repos et la détente, et congés maladie, qui ont pour objet la guérison.
Ainsi, priver le salarié de la jouissance effective de ses congés revient à méconnaître l’objectif du droit européen.
💡 Nouveau cas pratique
Un salarié a posé 3 semaines de congés payés du 6 au 25 octobre.
Il tombe malade du 13 au 19 octobre et en informe son employeur. Ces jours sont donc dorénavant considérés comme de la maladie (et indemnisés comme tels) et non plus comme des congés payés.
Dorénavant, les 6 jours ouvrables de congés pendant lesquels le salarié fournit un arrêt de travail devront être reportés à une date ultérieure…
Mais beaucoup de questions restent en suspens… Quels délais pour informer l’employeur ? Comment organiser le report des congés et surtout la période de prise de ces congés reportés ? Enfin, quid des conséquences dans ce cas des 12 jours minimaux consécutifs non pris sur la période ? Là encore, des précisions restent attendues.
Ces arrêts marquent une évolution décisive du droit du travail français, consacrant la prééminence du droit européen dans la protection des droits des salariés en matière des congés.
Ils entraineront un impact concret sur les pratiques RH, appelant les employeurs à adapter sans délai leur gestion du temps de travail et des congés afin d’assurer leur conformité au droit européen.
Il convient d’adapter immédiatement vos pratiques RH et paie, sous peine d’un risque élevé de contentieux en cas de non-respect des règles.
💡 À noter
Un autre point reste en attente d’éclaircissements : celui de la rétroactivité. Les précisions à venir seront également les bienvenues.
En cas de doute sur des situations complexes, nous vous recommandons de consulter nos spécialistes de la paie ou notre partenaire Oratio Avocats. Veillez également à sensibiliser vos équipes RH à ces spécificités, pour éviter tout contentieux.
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