Valérie Rousseau
Responsable prospective et stratégie expertise sociale
Avec la multiplication des épisodes de canicule, les entreprises doivent adapter leurs pratiques pour garantir à la fois le respect du cadre légal et le bien-être des salariés. Et la tenue vestimentaire fait partie des sujets à ne pas négliger.
Que dit la loi ? Jusqu’où peut-on aller ? Et quelles sont les bonnes pratiques à adopter pour protéger ses équipes tout en gardant un cadre adapté ? Les réponses de nos experts.
En principe, le salarié a le droit de se vêtir comme il le souhaite sur son lieu de travail.
Cependant, l’article L. 1121-1 du Code du travail autorise indirectement l’employeur à imposer à un salarié des contraintes vestimentaires, si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir (ex. : sécurité, hygiène, image de l’entreprise) et proportionnées au but recherché.
Ainsi, dans certains secteurs (BTP, agroalimentaire, santé…), le port d’une tenue spécifique reste obligatoire, même en cas de fortes chaleurs.
Dans un arrêt rendu le 28 mai 2023, la Cour de cassation est venue clarifier les contours de la liberté vestimentaire en entreprise. Elle considère que le choix de sa tenue ne relève pas d’une liberté fondamentale au sens du Code du travail, notamment dans le cadre du port d’un bermuda.
Des restrictions ont ainsi été admises par la jurisprudence lorsqu’elles étaient dictées par des nécessités d’ordre professionnel. Celles-ci peuvent tenir :
En revanche, une exigence trop stricte ou non justifiée est illicite. L’obligation pour un ambulancier de porter une cravate a été jugée abusive (Cass. soc., 19 mai 1998, n° 96-41.123).
💡 À noter
L’article L 4122-2 du Code du Travail prévoit que « les mesures prises en matière de santé et de sécurité au travail ne doivent entraîner aucune charge financière pour les travailleurs ». Ainsi, la tenue vestimentaire imposée par l’employeur doit être fournie gratuitement par l’entreprise qui doit également prendre en charge son entretien.
L’employeur peut le faire sous différentes formes (versement d’une prime forfaitaire de nettoyage, remboursement des frais engendrés à la suite de l’entretien de la tenue ou encore fourniture de lessive).
Si le salarié est contraint de s’habiller et de se déshabiller sur son lieu de travail, le temps consacré à ces opérations doit faire l’objet d’une contrepartie en sa faveur. Elle peut être faite sous forme de repos (augmentation du temps de pause, congés supplémentaires, réduction de la durée réelle de travail) ou financière (indemnités).
Les restrictions vestimentaires doivent être précisées dans le contrat de travail, le règlement intérieur ou une note de service, après consultation du CSE, le cas échéant.
N’hésitez pas à communiquer toute restriction ou consigne vestimentaire de façon claire et accessible à tous les salariés, notamment lors de l’embauche ou de la modification du règlement intérieur.
La sanction disciplinaire (avertissement, licenciement) peut être envisagée en cas de non-respect d’une obligation vestimentaire justifiée, sous réserve de respecter la proportionnalité et l’équilibre avec la faute commise. Il convient, cependant, de privilégier d’abord l’information ou la demande de se changer.
Une interdiction de tenue doit être motivée et pertinente. Les employeurs doivent concilier leurs besoins opérationnels et le respect des droits individuels, à travers une communication claire (par exemple en impliquant les employés dans l’élaboration du code vestimentaire).
L’employeur ne doit pas édicter de règles ou de consignes vestimentaires discriminatoires. Toute restriction liée à l’apparence physique, à la religion, au sexe, etc. doit être objectivement justifiée et appliquée de façon générale et indifférenciée.
En matière de signes religieux, une clause imposant la neutralité doit respecter les exigences légales et européennes (directive 2000/78/CE). La restriction doit être générale, cohérente, systématique et répondre à un besoin réel de l’entreprise.
Le Code du travail prévoit un ensemble de dispositions spécifiques visant à garantir l’adaptation des équipements de travail et des conditions de travail lors d’épisodes de chaleur intense. Selon l’article R4463-2 du Code du travail, « L’employeur évalue les risques liés à l’exposition des travailleurs à des épisodes de chaleur intense, en intérieur ou en extérieur. Lorsque l’évaluation identifie un risque d’atteinte à la santé ou à la sécurité des travailleurs, l’employeur définit les mesures ou les actions de prévention prévues au III de l’article L. 4121-3-1. » Cette obligation d’évaluation constitue le socle de la démarche de prévention, qui doit être adaptée à la réalité des postes et des équipements utilisés.
Un décret et un arrêté du 27 mai 2025 ont renforcé les obligations de l’employeur en cas de vague de chaleur, applicables depuis le 1er juillet 2025 (décret 2025 : canicule et devoirs de l’employeur).
Le Code du travail s’appuie sur le dispositif de vigilance « canicule » de Météo France, qui distingue plusieurs niveaux (vert, jaune, orange, rouge) ; chacun imposant des mesures adaptées.
En période de fortes chaleurs, l’employeur doit veiller au confort thermique de ses équipes. Cela peut passer par l’autorisation de tenues vestimentaires plus légères (tee-shirts, pantalons fluides, chaussures ouvertes, si la sécurité le permet) à condition qu’elles restent propres, soignées et adaptées à l’environnement professionnel. Il est également recommandé de fournir, si nécessaire, des équipements spécifiques comme des vêtements de travail respirants, des casquettes ou des lunettes de soleil pour les travaux en extérieur ou exposés au soleil (article R4463-3 du Code du travail).
Ainsi, la jurisprudence admet, lors de canicule exceptionnelle, des tenues plus légères, tant qu’elles sont propres et soignées comme un débardeur ou un pantalon en toile (Cass. soc. 12-11-2008 n° 07-42.220).
L’article R4463-5 du Code du travail prévoit également une obligation d’adaptation renforcée pour les travailleurs vulnérables.
Outre adapter les tenues de travail afin de prévenir les risques liés à la chaleur, l’employeur doit également mettre en place des pauses supplémentaires, organiser les tâches physiques les plus intenses aux heures les plus fraîches, favoriser le télétravail lorsque cela est possible, et veiller à la bonne hydratation des salariés.
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Thème |
Référence(s) |
Extrait(s) et analyse |
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Obligation d’évaluation des risques |
« L’employeur évalue les risques liés à l’exposition des travailleurs à des épisodes de chaleur intense, en intérieur ou en extérieur… » |
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Mesures concrètes d’adaptation des équipements |
« La réduction des risques liés à l’exposition aux épisodes de chaleur intense… se fonde, notamment, sur : … le choix d’équipements de travail appropriés… » |
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Obligation d’adaptation pour les travailleurs vulnérables |
« Lorsqu’il est informé de ce qu’un travailleur est… particulièrement vulnérable… l’employeur adapte… les mesures de prévention… » |
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Exigence d’adaptation des locaux et équipements |
« Les équipements et caractéristiques des locaux de travail sont conçus de manière à permettre l’adaptation de la température à l’organisme humain… » |
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Fourniture d’eau fraîche et équipements spécifiques BTP |
« L’employeur met à disposition des travailleurs de l’eau potable et fraîche… au moins trois litres par jour par travailleur… » |
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Jurisprudence : faute inexcusable pour absence d’adaptation |
Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 11 janvier 2019, Cour d’appel de Toulouse, 7 septembre 2018, Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 24 janvier 2025 |
« L’employeur doit mettre à la disposition de son salarié de l’eau potable et fraîche… Les postes de travail extérieurs doivent être aménagés… En l’état de ces éléments, l’employeur ne démontre pas avoir pris les mesures nécessaires… » |
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Responsabilité engagée même en l’absence de dommage avéré |
« Il n’est pas nécessaire que soit constaté une atteinte à la santé, le risque suffit… » |
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Obligation d’information et de formation |
« L’employeur est-il tenu d’une obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. » |
Conseil d'expert
L’employeur doit respecter un équilibre : garantir la santé et la sécurité des salariés lors de pics de chaleur, tout en adaptant les consignes vestimentaires pour permettre aux salariés de se protéger contre la canicule.
Informer et former vos équipes est indispensable pour assurer l’application des bonnes pratiques. En leur exposant les enjeux, les règles à suivre et les aménagements envisageables, vous encouragez leur adhésion et leur compréhension.
Nos équipes se tiennent à votre disposition pour vous accompagner dans la mise en place de solutions adaptées à votre activité et vos obligations. Pour toute question d’ordre juridique (rédaction du règlement intérieur, gestion de situations contentieuses…), n’hésitez pas à consulter notre partenaire Oratio Avocats.
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