Laurévane Vigni
Juriste
Depuis quelques années, le télétravail s’est imposé comme une norme dans de nombreuses entreprises. Plébiscité pour sa flexibilité et ses gains de productivité, il apporte aussi son lot de défis, tant pour les salariés que pour les employeurs. Quels sont réellement ses impacts et comment l’organiser efficacement pour en tirer le meilleur ?
L’article L.1222-9 du Code du travail définit ainsi le télétravail :
« […] le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur, est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication […] ».
Trois conditions cumulatives doivent donc être remplies pour qualifier juridiquement une situation de télétravail, à savoir :
Sont donc exclues de ce cadre, à titre d’exemple, les activités nécessitant une présence sur site ou des tâches manuelles sur le terrain, qui ne peuvent être accomplies de manière sédentaire dans l’entreprise. De la même manière, les périodes d’astreinte à domicile ne relèvent pas du télétravail, dès lors qu’elles n’impliquent pas l’exercice effectif d’une activité professionnelle en continu, mais seulement une disponibilité ponctuelle.
Face à l’essor du télétravail, les entreprises doivent s’ajuster à de nouvelles réalités. L’employeur qui opte pour cette organisation doit dès lors analyser les impacts de sa mise en place.
L’employeur doit prendre en charge l’ensemble des frais professionnels engagés par les salariés, dès lors que ceux-ci sont justifiés par les nécessités de l’activité professionnelle et dans l’intérêt de l’entreprise.
Ces frais peuvent donc être pris en charge de deux manières, à savoir :
Pour 2025, l’URSSAF tolère un remboursement forfaitaire mensuel sans justificatif dans la limite globale de 10,90 € par mois pour une journée de télétravail par semaine. Si l’allocation est fixée par jour, le montant maximum est de 2,70 € par jour dans la limite de 59,40 € par mois.
En présence d’un accord collectif, ces montants sont portés à 13 € par mois pour une journée de télétravail par semaine et si l’allocation est fixée par jour, le montant maximum est de 3.25 € par jour, tout cela dans la limite de 71,50 € par mois.
En tout état de cause, lorsque le montant versé par l’employeur dépasse ces limites, l’exonération de charges sociales ne pourra être admise que par la production de justificatifs des frais engagés au titre de l’activité professionnelle.
Jusqu’à récemment, l’obligation de verser une indemnité d’occupation du domicile par l’employeur était réservée uniquement aux salariés n’ayant aucun local professionnel à leur disposition et qui étaient donc contraints de travailler à distance.
Toutefois, dans un arrêt du 19 mars 2025, la Cour de cassation semble élargir ce droit à indemnisation. Elle affirme que « l’occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans sa vie privée, de sorte qu’il peut prétendre à une indemnité à ce titre dès lors qu’un local professionnel n’est pas mis effectivement à sa disposition ou qu’il a été convenu que le travail s’effectue sous la forme du télétravail ».
Pour autant, hors circonstances exceptionnelles, le télétravail repose sur le volontariat et est donc nécessairement convenu entre le salarié et l’employeur. Est-ce à dire que cette indemnisation deviendrait donc automatique ?
Les prochains arrêts de la Cour sur le sujet permettront d’appréhender la portée à donner à cette décision.
Dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur est en droit de contrôler l’activité de ses salariés, y compris de ceux exerçant à distance. Cependant, ce pouvoir de contrôle ne saurait justifier une surveillance permanente et constante des collaborateurs.
À ce titre, tout dispositif de contrôle de l’activité des salariés, qu’il soit mis en œuvre sur site ou à distance, doit obligatoirement :
Ceci étant, l’employeur reste tenu de veiller au respect des durées maximales de travail et des temps de repos obligatoires conformément à la réglementation en vigueur (Cass. soc., 14 déc. 2022). Il lui appartient dès lors de mettre en place des modalités de contrôle appropriées, qui ne contreviennent pas aux principes susmentionnés (l’instauration d’un système d’auto-déclaration via un logiciel de gestion des horaires installé sur l’ordinateur à titre d’exemple).
Le télétravail, bien que source de flexibilité, expose les salariés à des risques psychosociaux spécifiques, tels que l’isolement professionnel, la surcharge de travail, la perte de repères temporels et l’hyperconnexion.
L’article L.4121-1 du Code du travail précise que l’employeur a l’obligation d’assurer la sécurité et de protéger la santé morale mentale et physique de ses salariés. À ce titre, il doit prendre des mesures spécifiques pour prévenir ces risques. Cela inclut une évaluation rigoureuse des risques liés à l’ergonomie du poste de travail, à la qualité de l’équipement, au stress ou encore à l’isolement social.
Des actions de prévention adaptées doivent ensuite être mises en place, et ces mesures doivent être intégrées dans le document unique d’évaluation des risques professionnels. Ce dernier doit tenir compte des particularités du télétravail afin de garantir un environnement de travail sûr et équilibré pour l’ensemble des salariés.
Le télétravail pourrait entraîner des tensions entre les salariés qui en bénéficient et ceux qui n’en bénéficient pas, ou encore accroître la distanciation sociale, voire entraîner une rupture du lien social au sein de l’équipe de travail. Il est donc vivement conseillé de mettre en place une phase d’expérimentation, suivie d’un bilan détaillé, afin d’identifier les éléments essentiels de réussite en fonction des particularités de chaque entreprise.
Par ailleurs, l’application des critères d’éligibilité au télétravail peut parfois susciter de l’incompréhension ou un sentiment d’injustice chez certains salariés. Afin de garantir la transparence du processus et d’assurer une équité perçue par l’ensemble des collaborateurs, il serait opportun de mettre en place une commission de suivi qui aurait pour mission de résoudre les situations litigieuses, de répondre aux interrogations et d’assurer un dialogue constructif autour des modalités de mise en œuvre du télétravail.
💡 NB
En principe, l’employeur est libre de sélectionner, parmi les candidatures reçues, les salariés auxquels il accorde le télétravail. Toutefois, lorsque le télétravail est instauré dans l’entreprise par un accord collectif ou une charte élaborée par l’employeur, ce dernier doit motiver tout refus opposé à un salarié qui en fait la demande et remplit les conditions requises pour en bénéficier.
En outre, un référent télétravail peut être nommé pour :
Il est également recommandé de former et de sensibiliser les managers afin qu’ils soient capables de gérer et d’encadrer les télétravailleurs sous leur responsabilité. Des guides pratiques peuvent, dans cette optique, être mis à disposition pour accompagner les managers et salariés dans la mise en place du télétravail. Le référent télétravail peut également être en charge de diffuser et expliciter « le guide pratique télétravail » auprès des managers et des collaborateurs.
Quant à l’utilisation des équipements et des outils numériques, l’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 met en avant l’importance des bonnes pratiques suivantes :
💡 À retenir
Le télétravail n’est pas une simple transposition du travail de bureau à la maison. Il impose de repenser les équilibres, les outils et les pratiques managériales. Pour les entreprises, qui souhaitent maintenir ce mode d’organisation du travail, il est temps de passer d’une adaptation d’urgence à une organisation durable, pensée et outillée.
N’hésitez pas à vous rapprocher de votre contact habituel Baker Tilly pour tout échange concernant ce sujet. Les équipes de notre partenaire juridique, Oratio Avocats se tiennent également à votre disposition pour vous accompagner et vous guider dans la mise en place du télétravail au sein de votre entreprise.
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