Dans le panorama complexe des structures philanthropiques, le fonds de dotation, initié il y a 15 ans, représente une entité singulière, soumise à des règles juridiques et fiscales strictes. Sa gestion requiert une vigilance constante et une conformité rigoureuse aux exigences de transparence imposées par la législation. Mais qu’en est-il du cadre légal de cette entité ? Et quelles sont les modalités de son intervention ? Nos experts vous répondent.
Communication annuelle du rapport d’activité
Le rapport d’activité de l’association doit être transmis à la préfecture du département où se situe le siège de l’association, dans les 6 mois suivant la clôture de l’exercice. Il doit contenir :
- Un compte rendu de l'activité du fonds qui porte tant sur son fonctionnement interne que sur ses rapports avec les tiers,
- La liste des actions d'intérêt général financées par le fonds et leurs montants,
- La liste des personnes morales bénéficiaires des redistributions et leurs montants,
- La liste des avantages et des ressources reçus de l'étranger (y compris UE),
- Si le fonds fait appel à la générosité publique, le compte d'emploi des ressources collectées auprès du public précisant notamment l'affectation des dons par type de dépenses et qui mentionne les informations relatives à son élaboration,
- La liste des libéralités reçues avec indication des personnes émettrices et des montants (il faut également déclarer à l’administration fiscale depuis 2021 les dons des particuliers et des entreprises qui ont ouvert droit à reçus fiscaux dans les 3 mois de la clôture de l’exercice).
Les conséquences de l'absence de communication d'un rapport d'activité conforme sont sévères : une suspension administrative pouvant conduire à une dissolution judiciaire.
La notification de la dissolution administrative est généralement adressée au Président du fonds, au commissaire aux comptes et aux établissements bancaires du fonds. La suspension est également publiée au journal d'annonces légales.
Demande d’autorisation d’appel à la générosité du public
L’appel à la générosité du public est défini de manière large : tout appel aux dons via le site internet du fonds de dotation est considéré comme un appel à la générosité publique.
Le mécénat d'entreprise n'est pas automatiquement exclu de l'AGP, même si plusieurs entreprises sont sollicitées sans liens préalables avec le fonds de dotation, avec une approche systématique (mailings, plateformes, réseaux sociaux, etc.).
L’appel à la générosité du public (AGP) nécessite la mise en œuvre d’une déclaration annuelle préalable ; une déclaration qui doit être effectuée à la préfecture du département où se situe le siège social de l'association (ou à la préfecture de Paris si le siège est à Paris).
- La demande d'autorisation pour faire appel à la générosité du public doit préciser les objectifs visés ainsi que les moyens envisagés pour réaliser cet appel ou cette sollicitation.
- Les déclarations de non-condamnation des administrateurs du fonds doivent être annexées à cette demande.
- Le recours à l'AGP entraîne l'obligation d'établir un compte d'emploi des ressources (CER) si les fonds collectés dépassent 153 000 €. La Cour des comptes est habilitée à contrôler ces comptes pour vérifier la conformité des dépenses engagées avec les objectifs de l'appel à la générosité publique.
L’absence de demande d’autorisation constitue un dysfonctionnement susceptible de déclencher une suspension administrative.
Règles liées aux conflits d’intérêts
La loi Sapin II, entrée en vigueur en 2016, a étendu les dispositifs anticorruption à divers secteurs, dont les associations, fondations et fonds de dotation. Ces entités peuvent être soumises au contrôle de l'AFA (agence française anticorruption), en tant que structures reconnues d'utilité publique ou selon les critères d'activités économiques au sein d'un "groupe" pouvant inclure une association "mère" détenant plus de 50 % de participations ou exerçant un contrôle sur ses filiales.
L'AFA, dans son guide pour les entreprises, souligne que les initiatives philanthropiques des entreprises, comme les fonds de dotation, doivent être incluses dans la cartographie des risques des groupes soumis à son contrôle.
Une enquête de l'AFA, parue en mai 2023 et portant sur le secteur associatif et « fondatif », incluant les fonds de dotation, a mis en avant l'importance de sensibiliser les acteurs à l'instauration de mesures de prévention contre les pratiques contraires à l'intégrité, où le conflit d'intérêts reste souvent une préoccupation majeure.
Si les fonds de dotation ne sont pas éligibles aux fonds publics, ils peuvent, néanmoins, être des vecteurs de diverses infractions lorsque le mécénat est utilisé pour dissimuler des infractions pénales ou des avantages économiques :
- favoritisme lors de l'attribution de marchés publics si le fondateur est une entité publique,
- risque de bénéfices commerciaux déguisés si le mécène est également un fournisseur du fonds soutenu ou d'un de ses fondateurs,
- pratiques de cadeaux et d'invitations sans cadre réglementaire clair,
- risques de détournement dus à une mauvaise utilisation des dons.
Il est, ainsi, crucial de mettre en place des règles préventives. Cela implique une connaissance préalable des liens d'intérêts entre tous les dirigeants et membres de la commission, ainsi que la création de mécanismes de gestion des conflits.
Ces mesures peuvent inclure l'avis préalable d'un comité de déontologie pour les opérations à risques, le déport des administrateurs concernés, ou encore le vote à une majorité qualifiée.
On distingue deux types de fonds de dotation, le fonds opérateur et le fonds redistributeur.
- Fonds « opérateur »
Le fonds peut, dans ce cas, conduire lui-même des activités en vue de la réalisation d'une œuvre ou d'une mission d'intérêt général s’inscrivant dans les axes d’intervention précisés dans ses statuts.
L’activation d’un fonds opérateur nécessite, en général, la mobilisation d’une équipe permanente au sein du fonds (délégué général notamment) ce qui est en pratique relativement rare pour un fonds de dotation d’entreprise.
- Fonds « redistributeur »
Le fonds utilise alors sa dotation et plus globalement ses ressources afin de financer des projets réalisés par d’autres opérateurs d’intérêt général.
Le fonds peut être mixte, à la fois opérateur et redistributeur. Ces modes d’action ne s’opposent pas, mais sont très souvent complémentaires et mis en œuvre conjointement.
Un rescrit fiscal récent (BOI-RES-BIC-000069-17/02/2021) précise que les libéralités reçues par des fonds redistributeurs, hors recettes liées à un appel à la générosité publique, doivent être incorporées à la dotation du fonds avant redistribution. La dotation du fonds doit par ailleurs être placée afin de générer des produits, même faibles.
Les bénéficiaires des redistributions du fonds de dotation
Les entités éligibles au mécénat
Plusieurs conditions cumulatives sont nécessaires pour qu'un organisme soit éligible au mécénat et puisse bénéficier du soutien d'un fonds de dotation. Il doit ainsi avoir :
- 1. une gestion désintéressée : absence de distribution de résultats ou d'actifs aux membres ou dirigeants, et engagement bénévole des dirigeants,
- 2. des activités non-lucratives, excluant toute concurrence économique,
- 3. une absence de fonctionnement au profit d'un groupe restreint,
- 4. un engagement dans un ou plusieurs des domaines énumérés par l'article 238 bis ou 238 bis 4 du code général des impôts (CGI) : philanthropie, éducation, sciences, action sociale, humanitaire, sports, famille, culture, préservation du patrimoine artistique, défense de l'environnement naturel, promotion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises,
- 5. des actions territoriales définies.
Les conditions liées à la territorialité des organismes et des projets soutenus
En principe, un organisme doit être établi en France pour que ses actions soient éligibles au mécénat. Cela s’applique également aux actions menées en France ou dans l’Union européenne (UE) ou l’Espace économique européen (EEE). De plus, un organisme dont le siège social est situé dans un autre État de l’UE ou de l’EEE peut également être éligible s’il est agréé en France.
Il existe cependant des exceptions à ces règles. Par exemple, certaines organisations internationales qui font appel à la générosité du public sont éligibles au mécénat, à condition que la France soit associée à ces organisations. Cela inclut les institutions spécialisées de l’Organisation des Nations unies (ONU) comme l’UNESCO, les fonds de l’ONU, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et les programmes des Nations Unies comme le Programme alimentaire mondial.
Il est également possible de soutenir des actions en dehors de l’UE/l’EEE dans le cadre des quatre exceptions suivantes :
- actions humanitaires,
- actions concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises,
- actions en faveur de la protection de l'environnement naturel,
- actions scientifiques : à condition que les résultats de ces activités de recherche menées en dehors de l'EEE soient destinés à être utilisés en France ou dans l'EEE.
L’exercice de missions humanitaires, environnementales, culturelles ou scientifiques hors de l’espace européen étant admis par exception, il est encadré par des conditions spécifiques.
La doctrine fiscale prévoit ainsi que l’organisme menant de telles actions internationales doit satisfaire aux trois conditions cumulatives suivantes pour bénéficier du soutien d’un fonds de dotation :
- 1. définir et maîtriser le programme à partir du siège,
- 2. financer directement les actions entreprises,
- 3. être en mesure de justifier des dépenses qu'ils ont exposées pour remplir leur mission.
Pour financer des actions à l’international, un fonds de dotation doit prévoir des conventions organisant le respect de ces conditions par ses partenaires locaux et doit exercer un contrôle de ces organismes.
Les bénéficiaires des fonds redistributeurs
Par référence aux textes fiscaux (art. 200 et 238 bis du Code général des impôts), ces bénéficiaires sont exclusivement des organismes sans but lucratif réalisant des œuvres et des missions d’intérêt général, par exemple :
- des associations déclarées ou reconnues d'utilité publique,
- des fondations reconnues d'utilité publique ou sous égide,
- des établissements d'enseignement supérieurs publics ou privés,
- des centres de recherches publics ou universitaires…
Sauf à ce que le fonds de dotation soit agrée dans le cadre de l’article 238 bis 4 du CGI au titre du soutien des PME, un fonds de dotation redistributeur ne doit pas soutenir des structures ayant la forme juridique de sociétés, y compris les structures de l’ESS comme les entreprises solidaires d'utilité sociale (ESUS) ou les sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC).
Un rescrit fiscal récent (BOI-RES-BIC-000087-07/04/2021) a précisé qu’un fonds redistributeur qui finance à la fois des organismes éligibles et des organismes non éligibles au mécénat, n’est pas lui-même éligible au mécénat.
Les organismes d’intérêt général bénéficiaires des redistributions du fonds devront tous être eux-mêmes éligibles au mécénat et délivrer au fonds redistributeur une attestation fiscale justifiant le montant et l’affectation des versements effectués à leur profit.
Les financements possibles des fonds opérateurs
En tant que fonds opérateur, c’est-à-dire lorsqu’il pilote des actions d’intérêt général en tant que donneur d’ordre/organisateur, un fonds de dotation peut s’appuyer sur toute structure de son choix, et financer tout opérateur, quel que soit son statut au regard du mécénat.
Les sommes versées par le fonds opérateur à ces partenaires ne sont alors pas des dons, mais la rémunération d’un service. Les conventions mises en place doivent donc souligner les contreparties/services réalisés au bénéfice du fonds opérateur.
Les fonds actionnaires et investisseurs
L’investissement direct d’un fonds de dotation dans des sociétés : fonds actionnaire
Un fonds de dotation peut investir directement sa dotation dans des sociétés dont l’activité est en lien ou pas avec ses objectifs :
- Si cet investissement correspond à une prise de participation (critères cumulatifs du niveau de participation, de la durabilité de la détention des titres ainsi que de l’influence exercée sur la société par le fonds de dotation) ,c’est-à-dire confère au fonds de dotation un rôle actif dans la gestion de la société « cible », cet investissement doit être sectorisé fiscalement et comptablement dans un secteur lucratif du fonds de dotation et les sommes investies doivent en principe être issues de sommes qui n’ont pas ouvert droit à déduction d’impôt.
- Si cet investissement s’inscrit dans la politique de placement du fonds de dotation, les fonds investis peuvent être considérés comme un placement de la dotation et les sommes investies peuvent être issues des dons ayant ouvert droit à réduction fiscale.
- Cette politique d’investissement consiste en une gestion prudente des actifs en incluant des règles de dispersion par catégorie de placements et de limitation par émetteur, en vue de protéger le fonds de dotation contre les mouvements négatifs du cours du marché. Lorsque le montant des dotations dépasse un million d’euros, le fonds de dotation a l’obligation de mettre en place un comité consultatif auprès du conseil d’administration. Ce comité est composé de personnes qualifiées, extérieures au conseil d’administration. Il est chargé de proposer la politique d’investissement et d’en assurer le suivi. Il peut également proposer des études et des expertises.
Le fonds et son fondateur : quelles relations ?
Le fonds de dotation ne doit pas contribuer au développement des activités économiques de son entreprise fondatrice, conformément à la notion de relations privilégiées et de complémentarité économique (BOI-IS-CHAMP-10-50-20-10 n° 60) :
- « De façon générale, un organisme qui entretient avec une société du secteur lucratif des relations privilégiées caractérisées par une complémentarité économique est considéré comme lucratif pour l'ensemble de ses activités, sans possibilité de sectorisation.
- Tel est le cas lorsqu'il existe entre eux une complémentarité commerciale, une répartition de clientèle, des échanges de services, une prise en compte par la société de charges relevant normalement de l'activité non lucrative, etc.
- La notion de complémentarité commerciale désigne à la fois la situation dans laquelle l'activité non lucrative tend à développer l'activité de la société commerciale, et celle dans laquelle cette dernière confère à l'activité non-lucrative de l'organisme, par contagion de ses propres buts et pratiques commerciales, tout ou partie des avantages liés au recours au marché. »
Il convient d’éviter que les activités d’un fonds de dotation ne soient considérées comme concourant directement à développer les débouchés commerciaux de la ou des sociétés fondatrices. Le fonds de dotation ne doit pas avoir de but lucratif. Par analogie avec les commentaires parlementaires et la doctrine fiscale relative aux fondations d’entreprise, un fonds de dotation « d’entreprise, ne doit pas être un « faux nez » de l'entreprise chargée d'effectuer des opérations commerciales en les habillant du prestige qui s'attache à la qualification de la fondation (fonds de dotation) » (Extrait du rapport n° 1368 de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale).