Ludivine Rigollet
Avocate
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La réglementation impose au dirigeant qui envisage de vendre son entreprise d’informer au préalable les salariés pour qu’ils puissent, le cas échéant, émettre une offre de reprise. Cette information préalable repose sur des obligations précises dont le non-respect est sanctionné, mais qui ne s’impose toutefois que dans certaines hypothèses et pour certaines entreprises.
Il faut en réalité distinguer deux cas de figure. Tout d’abord, dans les entreprises de moins de 250 salariés, les salariés doivent être informés tous les 3 ans sur les possibilités de reprises de l’entreprise. Cette information a pour objectif de présenter les principales étapes d'un projet de reprise d'une société, en précisant les avantages et les difficultés pour les salariés et pour le cédant, une liste des organismes pouvant fournir un accompagnement, des conseils ou une formation en matière de reprise d'une société par les salariés et les éléments généraux relatifs aux aspects juridiques, comptables et financiers de la reprise d'une société par les salariés. Cette information doit également porter sur les orientations générales de l'entreprise relatives à la détention de son capital, notamment sur le contexte et les conditions d'une vente de celle-ci et, le cas échéant, sur le contexte et les conditions d'un changement capitalistique substantiel. Cette information peut être dispensée par écrit ou oralement lors d’une réunion à laquelle les salariés doivent avoir été convoqués par tout moyen leur permettant d'en avoir connaissance.
Ensuite, les propriétaires d’un fonds de commerce ou de parts ou actions d’une société de moins de 250 salariés et qui réalisent un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 50 M€ ou dont le total de bilan n’excède pas 43 M€ sont tenus d’une information spécifique à destination des salariés lorsqu’une vente de l’entreprise est envisagée afin de leur permettre de présenter une offre d’achat. Cette nouvelle obligation à la charge des chefs d’entreprise est issue de la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire. Alors que de nombreuses entreprises saines ferment chaque année faute de repreneur, l’objectif de cette mesure est de faciliter la reprise des entreprises, notamment en facilitant la communication auprès des salariés qui porteraient un projet de reprise d’entreprise.
Cette information préalable des salariés n’est obligatoire qu’en cas de cession du fonds de commerce ou de cession d’une participation représentant plus de 50 % des parts sociales d’une SARL ou de vente des actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d’une société par actions, et ce, même si un droit d’agrément, de préférence ou de préemption est prévu. Il est important ici de rappeler que l’obligation d’information ne s’applique qu’en cas de « vente », entendue comme une convention par laquelle « l’un s’oblige à livrer une chose et l’autre à la payer » (article 1582 du code civil).
Certaines opérations échappent à cette obligation d’information, comme la cession d’un bloc minoritaire à un autre associé, la vente d’un fonds artisanal (la Loi ne visant que les fonds de commerce), les cessions réalisées au profit du conjoint, d’un ascendant ou d’un descendant, les transmissions réalisées dans le cadre d’une succession ou d’une liquidation du régime matrimonial.
En outre, ce droit d’information des salariés n’est pas applicable aux entreprises, faisant l'objet d'une procédure de conciliation, de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. De même, il ne s’applique pas si, au cours des 12 mois qui précèdent la vente, une information a d’ores et déjà été faite auprès des salariés dans le cadre de la procédure d’information triennale.
Il faut distinguer selon que l’entreprise est ou non soumise à l‘obligation de mettre en place un comité social et économique (CSE).
Si l’entreprise n’est pas soumise à cette obligation, c’est en pratique le propriétaire du fonds ou des parts ou actions dont la vente est envisagée qui informe les salariés de son projet de vente (si le propriétaire n’est pas lui-même l’exploitant de l’entreprise, il informe l’exploitant qui lui-même informera les salariés). Par principe, cette information doit être délivrée au moins 2 mois avant la réalisation de la cession envisagée. Cela signifie donc que la vente ne peut pas intervenir avant l’expiration de ce délai de 2 mois, sauf si tous les salariés ont fait part de leur décision explicite et non équivoque de ne pas présenter d’offre avant l’expiration du délai de 2 mois.
Si l’entreprise est dotée d’un CSE, le propriétaire ou l’exploitant doit informer les salariés du projet de vente au plus tard au moment où le CSE est saisi pour avis sur le projet de vente.
Peu importe les moyens utilisés pour délivrer cette information, l’essentiel étant d’être en mesure de prouver que les salariés ont effectivement été informés. Ainsi, il sera possible d’informer les salariés au cours d’une réunion d’information à l’issue de laquelle ils signeront une feuille d’émargement, de recourir par voie de courrier recommandé avec AR ou de courrier remis en mains propres contre décharge, par mail (le cas échéant, en utilisant un procédé qui permette de certifier la date de réception), par voie d’affichage, pour autant que soit mis à la disposition des salariés un registre sur lequel les salariés attesteront avoir pris connaissance de cet affichage, ou par acte extrajudiciaire, le cas échéant.
Cette information est valable 2 ans : concrètement, une fois tous les salariés informés du projet de cession, le propriétaire du fonds ou des parts ou actions dispose d’un délai maximal de 2 ans pour réaliser la vente, sans avoir l’obligation d’informer à nouveau les salariés en cas de nouveau projet de cession. En effet, si, dans ce délai de 2 ans, le projet de vente pour lequel l’information a été faite ne se concrétise pas, le propriétaire du fonds ou des parts ou actions peut poursuivre son projet en recherchant un autre potentiel repreneur et entamer une nouvelle opération de vente sans pour autant devoir informer à nouveau ses salariés.
L’information ne porte que sur la volonté du propriétaire de procéder à la vente du fonds ou de ses parts ou actions et sur la possibilité faite aux salariés de présenter une offre d’achat (en précisant qu’ils pourront se faire assister de la personne de leur choix). Il conviendra, en outre, de leur rappeler qu’ils sont tenus à une obligation de discrétion, dont le non-respect pourra être sanctionné sur le plan disciplinaire (pouvant aller jusqu’au licenciement).
Rien n’oblige l’exploitant à communiquer d’autres informations. En particulier, il n’est en aucun cas obligé de transmettre des informations relatives au fonctionnement, à la comptabilité ou à la stratégie de l’entreprise.
Si une offre de rachat est présentée par un ou plusieurs salariés, le propriétaire vendeur reste totalement libre d’entrer ou non en négociation avec ces derniers. Il n’a aucune obligation de répondre à cette offre et son éventuel refus d’étudier ou d’accepter une offre n’a pas à être motivé.
Le non-respect de cette obligation peut en réalité prendre différentes formes. Il peut s’agir, pour le propriétaire vendeur, de ne pas avoir rempli cette obligation d’information préalable, mais aussi de l’avoir réalisée tardivement ou de manière incomplète.
Un salarié pourra, dans ces hypothèses, intenter une action en responsabilité civile contre le vendeur ou chef d’entreprise s’il est en mesure de démontrer une faute de sa part, cette action se prescrivant au bout de 5 ans. L’entreprise risque, alors, de se voir condamnée au règlement d’une amende dont le montant, laissé à l’appréciation du juge, ne peut excéder 2 % du montant de la vente. Il faut savoir qu’à l’origine, la sanction encourue était l’annulation de la vente, mais cette sanction a été déclarée inconstitutionnelle.
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